Si les esprits faibles supportent en général moins aisément l'excès du bonheur que celui du malheur, c'est que chacun s'empresse de nous consoler quand nous sommes malheureux, et que cette espèce d'appui moral nous maintient dans la droite ligne à travers les plus vives douleurs. Mais quand on obtient quelque grand bonheur, on est, par cela seul, l'objet de l'envie ou au moins de l'indifférence ; on ne trouve plus dans les autres cette explosion de sentiments, cet intérêt pressant et loyal qu'inspire l'infortune, même aux cœurs les plus secs. Le monde, vos amis même, sentent au contraire qu'ils ne vous sont plus nécessaires, vous abandonnent en quelque sorte à votre bonheur. Les flatteurs seuls vous entourent, et, livré ainsi à ses propres forces dans une situation qui en demande beaucoup, on dévie, quoi que l'on fasse, de la route que l'on devrait suivre dans ses actions, ses pensées, ses affections, et même ses opinions ; les esprits fermes sont seuls exempts de cet enchaînement de circonstances presque inévitables pour les autres.